Présent sur les quais des Sables d'Olonne, Yann Eliès, qui a participé à deux éditions du Vendée Globe (2008-2009 et 2016-2017), a gracieusement accepté de répondre à nos questions. Même si la course est loin d'être terminée, son analyse initiale de cette 10e édition est éclairante !
Voile Magazine : Dans votre première évaluation, quelles conclusions provisoires tirez-vous de cette dixième édition du Vendée Globe ?
Yann Eliès : Cette édition a vu l'essor des foilers. Cela signifie que, aux yeux du grand public, il y avait encore des doutes, car Jean Le Cam avait été assez vocal sur le fait que par rapport à la dernière édition, les foilers n'avaient pas répondu aux attentes. Cette fois, il n'y a pas de doute à ce sujet.
Il y a presque la distance de deux traversées de l'Atlantique entre le premier bateau à dérives et le premier foiler. Cette observation couronne enfin les architectes, les équipes et tout le travail de développement de ces dernières années. Le concept fonctionne, et en plus, il y aura un record historique à la fin, celui d'Armel Le Cléac'h en 74 jours, qui a été pulvérisé...
Voile Magazine : Pensez-vous que la météo a joué un rôle dans cela ? Parce qu'il y a quatre ans, c'était une vraie histoire météorologique. Pensez-vous qu'elle a été particulièrement favorable cette année ?
Yann Eliès : Il est vrai que la météo était particulièrement défavorable il y a quatre ans, et elle a été particulièrement favorable cette fois. Nous verrons dans quatre ans si cette météo était incroyable ou non. Quoi qu'il en soit, sur le papier, cela semble être le cas. C'est un peu similaire aux conditions rencontrées par Francis Joyon en 2017, qui lui ont permis d'établir un temps fantastique. Un record qui tient toujours...
Voile Magazine : Bien sûr, la météo joue un rôle, mais la technologie des IMOCA volants est maintenant au top, non ?
Yann Eliès : Absolument. En ce moment même, tous les foilers ont encore leurs deux foils sauf Sébastien Simon. Les conceptions des coques et des foils ont également été revues pour améliorer les performances des bateaux en mer. Les marins sont également de plus en plus affûtés. Donc, avec tous ces facteurs combinés, ainsi qu'une météo extrêmement favorable, cela donne cette édition exceptionnelle à tous les niveaux.
Voile Magazine : Que pensez-vous de l'aspect humain de cette édition ? Voyez-vous encore des aventuriers ? Y a-t-il de belles histoires ?
Yann Eliès : Absolument ! Ce qui m'a enthousiasmé, ce sont les records de 24 heures qui sont tombés les uns après les autres dans l'Atlantique Sud. C'est le choix de Sébastien Simon et Charlie Dalin dans la dépression au nord des Kerguelen, le retour de Yoann dans le sud, sans oublier la présence d'icebergs. C'était un peu surprenant de voir des marins rencontrer des icebergs. Je pensais que le système de protection était infaillible, mais apparemment non ; il reste encore un petit élément d'aventure.
Ce qui m'a également marqué, ce sont tous les problèmes avec les voiles d'avant, les crochets qui cassent, c'est un peu technique, mais il est vrai que pas mal de voiles d'avant ont été perdues. Ce qui m'a aussi impressionné, c'est la fraîcheur de Yoann dans ses vidéos ; on sentait qu'il était à l'aise en mer, au moins c'était l'un des marins qui, devant la caméra, semblait heureux d'être en mer, ne montrant pas trop de difficultés. Un peu comme Sébastien Marsset, que je trouve très naturel dans sa façon de communiquer.
Récemment, il y a eu les baleines filmées par Éric Bellion avant son abandon. Cela m'a un peu attristé parce que j'ai l'impression qu'en raison d'un manque d'expérience, il a mis son nez où il ne fallait pas. Cela m'a un peu rappelé Bernard Stamm, même si pour lui, c'était encore plus catastrophique ; il a perdu le bateau après s'être arrêté aux Malouines. On sent que dans un moment de manque de lucidité, on peut penser, 'Je vais me mettre à l'abri,' et cela se révèle être un piège...
Voile Magazine : Pensez-vous que Charlie Dalin est un vainqueur méritant ?
Yann Eliès : Oui, indiscutablement. Même s'il n'était pas animé par un esprit de revanche, on sent qu'il avait une détermination en lui qui est née le jour où il a dépassé Yannick Bestaven il y a quatre ans et a réalisé que les choses ne fonctionneraient pas avec lui. À ce moment-là, il a déjà eu une réaction de gentleman, il est resté silencieux, humble face à ce qui se passait car il n'y avait pas de solution possible. Il n'a pas craqué même si cela a dû être dur, et d'une certaine manière, cela a renforcé sa détermination à aller chercher la victoire dans cette édition.
En quatre ans, il a construit un nouveau bateau alors que certains d'entre nous doutaient qu'il puisse faire mieux qu'Apivia. Et en effet, architecturalement parlant, son bateau est encore meilleur. De plus, il s'engage à 100 % dans toute la préparation, dans tout ce qu'il fait. C'est presque une obsession au sens où il est capable de se chronométrer même en foil à aile ou de mesurer ses performances en vélo. C'est vraiment une détermination, un engagement total, et voir cela récompensé est formidable !
Bien que j'aurais été heureux si c'était Yoann aussi, car je me suis attaché au personnage dans cette campagne. Donc, cela forme vraiment un duo de tête. Ce sont de vrais athlètes, de vrais sportifs. C'est une performance incroyable, et je pense que nous ne réalisons pas pleinement le dévouement qu'ils ont mis, la bataille que c'était avant de se préparer et pendant la course. Je pense que seuls ces deux marins étaient capables de réaliser une telle performance.
Voile Magazine : Si Sébastien Simon termine troisième, cela ferait tout de même trois marins Figaro de la même génération sur le podium du Vendée Globe. Pensez-vous que ce soit tout sauf une coïncidence ?
Yann Eliès : Oui, cela confirme les victoires d'Armel Le Cléac'h et François Gabart. Tous ces marins sont passés par l'école du Figaro. Ce n'est pas la seule voie, mais il faut se rappeler qu'il y a à peine deux ans, la classe Figaro était un peu en déclin, les gens hésitaient à s'y engager car le niveau était trop élevé. Il y avait une peur de se lancer sans sponsor sur le circuit Figaro en raison du haut niveau ; maintenant, je pense qu'on ne peut guère s'en passer.
Cependant, on peut encore faire la Mini-Transat, passer par le circuit Class40 ou le circuit Multi50 ; il ne faut pas opposer ces choses. Mais à un moment donné, si vous n'avez pas passé deux ou trois ans dans le Figaro, vous n'avez pas acquis cette rigueur, ce dévouement. Il faut vraiment s'y consacrer, y passer du temps. Je suis heureux que des produits purs du centre d'entraînement de Port la Forêt terminent sur le podium.
Je sais, pour y avoir travaillé, que Jeanne Grégoire et Erwan Tabarly s'y consacrent entièrement. Ils passent du temps à former les jeunes, à les identifier, à les aider à progresser. Ensuite, ils accompagnent les meilleurs d'entre eux en Multi, en IMOCA, ceux qui ont la chance de trouver un budget. C'est formidable que le sport et la performance soient au premier plan. Il va sans dire que Yannick Bestaven en 2020 n'a pas du tout déçu, loin de là, mais dans cette édition, nous assistons à la consécration du sport de haut niveau.